Le Qatar finance-t-il le terrorisme?
Suite aux attentats de Charlie Hebdo, le débat politique français s’est fixé sur la lutte anti-terroriste. Notamment sur la question de son financement, et le Qatar est ainsi souvent pointé du doigt sur ce sujet.
Avec l’enlisement de la guerre civile syrienne et l’impressionnante montée en puissance de l’Etat Islamique (EI), il est nécessaire de se pencher sur les flux financiers à destination des groupes jihadistes. Le Qatar, comme d’autres Etats du Golfe, s’est engagé fortement dans la chute de Bachar el-Assad à tout prix. L’ensemble des forces faisant partie du front anti-Assad ont alors bénéficié de financements de la part du Qatar, et les groupes jihadistes ont pris également leur part. Le Qatar a seulement commencé à faire attention avec la montée en puissance de l’EI et les flux financiers se sont en conséquence fortement taris depuis un an.
Le reproche de financement du terrorisme dans le cadre syrien peut être fait également aux occidentaux. Les Etats-Unis ont financé durant un temps le groupe Jaysh al-Islam (Armée de l’Islam), jusqu’à ce qu’ils identifient le groupe comme affilié à Al-Qaïda. En Syrie, les occidentaux comme les pays du Golfe se sont précipités dans leur soutien à tout groupe se revendiquant anti-Assad sans être très regardant au départ sur la nature réelle de ces groupes d’opposition. Très souvent, en Syrie comme ailleurs, la porosité entre les groupes rebelles plus ou moins modérés et islamistes est telle qu’il est difficile de financer l’un sans financer l’autre indirectement.
Le contexte et la complexité du financement du terrorisme
On ne peut comprendre l’activisme et le risque pris par le Qatar qu’en comprenant le contexte régional. Le Qatar, petit Etat que l’Arabie Saoudite aimerait dominer (voire absorber), tente d’exister par lui-même en développant sa stratégie d’influence indépendante au Moyen-Orient. Le Qatar accueille ainsi de nombreux chefs terroristes et leurs représentations, des voix de l’Islam radical sur son territoire en faisant valoir sa capacité à faire passer des messages et à influer ces groupes. Le Qatar cherche donc à rivaliser avec l’Arabie Saoudite (comme l’illustre l’affrontement entre Al-Jazeera et Al-Arabiya) en jouant sur ses réseaux et sa force de frappe financière. Sans compter également la peur du « croissant chiite » partagée par l’Arabie Saoudite et le Qatar qui les poussent à financer n’importe quel groupe combattant l’Iran et ses alliés.
Toutefois, dire que le Qatar, en tant que gouvernement ou Etat, finance le terrorisme n’est pas représentatif de la réalité. Ces financements passent par de multiples canaux : donations de personnes privées, ONG islamiques ou budget des services spéciaux avec des montages financiers complexes… Ce qui rend très difficile à évaluer l’exact montant de ces flux. Loin d’être un émirat monolithique, les rivalités se traduisent notamment par les choix de financements des différents clans qataris. Les dons de personnes privées au nom du « Zakat » (charité islamique) est toutefois un réel problème quand il concerne de riches qataris : ces personnes ont pu organisés des récoltes de fonds au Qatar pour plusieurs millions de dollars à l’attention de l’EI ou même d’Al-Qaïda. Comme l’explique David Cohen, l’un des responsables du Trésor américain, le Qatar a une « juridiction permissive pour le financement du terrorisme », qui n’est pas assez vigilante sur les flux privés circulant par des dons ou par des associations islamiques. Par exemple, l’activité de l’ONG du Croissant-Rouge au Nord Mali sous couvert d’humanitaire est dénoncé par certains comme un soutien dissimulé aux groupes rebelles, comme les jihadistes du Mujao.
La grande question reste celle des liens du Qatar avec les Frères musulmans. L’organisation est considérée comme terroriste par certains pays (Arabie Saoudite, Russie et Egypte) et reste très surveillée par la plupart des services occidentaux. Vue au moment des Printemps Arabes comme un médiateur politique convenable pour la transition démocratique, les occidentaux se sont rendu compte que les Frères musulmans pouvaient très bien verser dans le radicalisme et l’autoritarisme. En Septembre dernier, en vue d’apaiser ses relations avec l’Arabie Saoudite et l’Egypte, le Qatar a choisi d’exclure 7 des représentants du mouvement de son territoire, sans toutefois se désolidariser du groupe.
Le financement du terrorisme est donc une question complexe, revêtant bien des aspects (flux privés et publics, diversité des structures de soutien et complexité des montages financiers). La rivalité entre Doha et Riyad dans leur guerre d’influence sur le monde musulman permet aux groupes terroristes de capter des flux des deux pays. On voit donc qu’au-delà de la pression que peuvent exercer les occidentaux pour encadrer et surveiller ces flux, c’est par une meilleure coopération régionale entre les pays du Golfe et l’ouverture du dialogue avec l’Iran que passe la première étape pour assécher les flux financiers à destination des groupes terroristes au Moyen-Orient et ailleurs.